Assainissement : une plaie béante en Guadeloupe
Les eaux pluviales et les eaux usées ne sont quasiment pas traitées, en Guadeloupe. Elles s’infiltrent dans les sols, atteignent les eaux de mer et des rivières, empoisonnent tout sur leur passage. En cause : des stations d’épuration hors service, pour la plupart. De ce tunnel de mauvaises nouvelles, l’archipel peinera à voir le bout.
N. Fadel, avec F. Aristide et C. Borda •
La majeure partie du système d’assainissement de la Guadeloupe dysfonctionne. Cela, au point de mettre en péril la qualité des eaux de baignade. Le quotidien Ouest France s’en est fait l’écho, dans son édition de lundi. Un article au titre plutôt clair : “En Guadeloupe, si rien n’est fait, les eaux de baignades seront toutes interdites dans 10 ans”.
Capesterre-Belle-Eau, où une station d’épuration est dans le collimateur de la justice et Deshaies, où plusieurs plages ont été interdites à cause de détection de matières fécales, sont des illustrations de cette réalité.
Les usagers de l’eau craignent une épidémie de choléra, après une intervention de Ferdy Louisy, maire de goyave et président de la commission “Eau” au Conseil départemental, qui leur a mis la puce à l’oreille.
En 2021, 80% du système d’assainissement était défectueux, dans l’archipel guadeloupéen, a signalé l’Office de l’eau.
40% des eaux de baignades en mer ont vu leur qualité se dégrader, ces 10 dernières années, en raison de la présence de deux germes et 37%, en raison de la présence d’un germe, selon l’enquête menée par Ouest France. Les effets de la pollution sont encore pires, en rivière, explique le quotidien ; trois tiers de ces sites sont touchés par ces contaminations.
En cause, à chaque fois, des carences en matière d’assainissement, ainsi qu’une mauvaise gestion des eaux pluviales, avec toutes les conséquences que cela implique, d’un point de vue sanitaire, mais aussi environnemental.
Pour régler le problème, il faudrait réhabiliter 50 stations chaque année. Sauf qu’à peine un peu plus de la moitié le sont. Depuis 2011, les collectivités chargées de la gestion des plages et des rivières doivent réaliser des documents de profils de baignade ; ils recensent les sources potentielles de pollution, pour prévenir les dégâts. Mais un tiers de ces sites n’a toujours pas été passé au crible.
Plus inquiétant encore : dans son audit d’octobre dernier, Ouest France rappelle que le Conseil économique social et environnemental (CESE) a mise en garde contre ce qu’il qualifie de « Bombe sale » qui attend l’île. “Si rien n’est fait, d’ici 10 ans, ce sont toutes les eaux de baignades de la Guadeloupe qui seront interdites”, a alerté cette assemblée.
L’eau manque aux robinets des Guadeloupéens, en quantité et en qualité. Les eaux usées s’échappent dans la nature. Mais l’argent manque pour stopper ces hémorragies. Où sont donc passées les sommes versées par les abonnés ? La question revient souvent, depuis quelques années.
L’exemple à Capesterre-Belle-Eau, où la gestion de la station d’épuration intéresse la justice.
Xavier Sicot, procureur de la République de Basse-Terre, constitue en effet un dossier relatif à cette infrastructure. L’objectif est de savoir s’il y a eu corruption, notamment.
Cette station, prévue pour traiter 1,5 milliards de litres d’eau sale par an, a coûté 14 millions d’euros ; un investissement en partie financé par des fonds européens. Mais elle a fermé, pour des raisons à déterminer précisément. A cette époque, une vingtaine de fonctionnaires de la Communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbes y était rattachée.
Depuis que cette coquille est vide, Capesterre-Belle-Eau est une commune polluée. Les eaux sensées être potables sont aussi contaminées, du fait des infiltrations des eaux usées non traitées, dans les vieilles canalisations poreuses.
40% de la population locale auraient dû être raccordés à ce type de station d’épuration ; mais la quasi-totalité de ces équipements ne fonctionne pas, ou mal.
60% des habitants devaient bénéficier de petites stations privées qui, elles aussi, dysfonctionnent.
Ainsi les eaux usées s’infiltrent dans les sols ou filent à la mer.
Cela a été récemment le cas à Deshaies, où la baignade a été interdite sur six plages, fin janvier 2023, pour cause de contamination bactériologique.
L’administration de Bruxelles s’en est aperçu et ne reste pas les bras croisés. L’Union européenne veut savoir où son argent est passé ; des explications seront demandées à la France, à ce sujet.
Le sombre tableau ne s’arrête pas là. Car le mot “choléra” a été lâché lors d’un conseil d’administration de l’Office de l’eau. En effet, dans son intervention, le maire de Goyave, Ferdy Louisy, également président de la commission “Eau” au Conseil départemental, a évoqué le risque d’apparition de cette infection, sur le territoire de sa commune, si rien n’était fait pour régler les problèmes d’assainissement, auxquels sont confrontés certains quartiers, depuis le passage de la tempête Fiona, mi-septembre 2022.
Une crainte qui a interpellé la Fédération des associations des usagers de l’eau (FADUEG). Pour son président, la situation est “grave” et pas uniquement à Goyave.
La population de Goyave est en train de patauger dans les matières fécales. J’ai eu à vérifier cette information, auprès de la population qui se trouve à la ZAC de l’Aiguille. Ils m’ont dit que oui et on leur a donné des appâts pour les rats, qui prolifèrent dans toute la zone. Le maire de Goyave a été très clair ; il a dit sa souffrance, parce qu’il est désespéré de voir que, malgré toutes ses demandes, il n’a pas de retour. Il a dit combien il est inquiet de la dégradation et du risque qu’encourt sa population.
Harry Olivier, président de la FADUEG
Seulement voilà : la somme nécessaire pour réhabiliter les stations d’épuration de la Guadeloupe pourrait comporter 10 chiffres. L’Etat ne paiera pas la facture, l’Europe ne remettra pas la main au portefeuille et les usagers, assommés par l’inflation et empoisonnés au quotidien, s’y refusent aussi. De quoi entrevoir un avenir bien sombre.